Goscinny et Hergé

Bonjour.
Dans le cahier photo de la biographie de Pascal Ory, en légende à un cliché montrant Hergé et Goscinny, on lit ceci : « Quand Hergé dédicacera Tintin au pays des Soviets à Goscinny, il oubliera de le signer... » Je m'attendais évidemment à ce que Ory revienne là-dessus dans le corps du texte, mais ça n'est pas le cas (cette biographie aurait pu être améliorée sur bien des points, dont celui-là).
Il me semble intéressant de creuser la question de cet oubli, puisque de prime abord on est tenté d'y voir un point de rapprochement entre certains traits de la biographie d'Hergé et la judéité de Goscinny.
Quelqu'un en sait-il plus sur l'oubli en question ?

Je me suis aussi posé la question en lisant ce bouquin, je crois que tout simplement Pascal Ory a retrouvé un Tintin dédicacé mais non signé dans les archives.

Il serait vain amha d'analyser les raisons de cet oubli.

alev8 a écrit:

Il serait vain amha d'analyser les raisons de cet oubli.

Pas si sûr (et je suis à peu près certain qu'Ory en aurait convenu, si seulement il avait pensé à s'y arrêter). Notez bien que je nourris une passion déraisonnable (105 euros les Chroniques Hergé !) pour Hergé aussi, donc mon propos n'est pas purement polémique. Néanmoins, si on ajoute foi aux propos de Christian Godard (et par principe j'ai une grande confiance en ce remarquable auteur) à propos de la signature R.G. des planches de Lucky Luke, et qu'on rapproche certains faits, je suis fort tenté, dans cette histoire de signature omise, de voir un acte manqué. Évidemment, par définition le combat doit cesser, faute de combattants -- ou plutôt de témoins.

L'affaire de la signature RG sur la dernière case de chaque planche des Rails date de 55/56. A l'époque Goscinny était un obscur scénariste et Morris en a profité pour ne pas faire apparaître le nom de Goscinny jusqu"aux Rivaux Allant même jusqu'à indiquer page de garde Texte et illustrations de Morris. Cette histoire est donc plus à porter au discrédit de Morris qu'à celui d'Hergé car il était légitime à l'époque de penser qu'il pouvait y avoir confusion entre Hergé et RG.
Après le succès d'Astérix les rapports entre les 2 auteurs de BD franco-belges les plus important du siècle sont devenus cordiaux, chacun ayant une grande estime du travail de l'autre.
La preuve est donné par leurs échanges de courrier montrés dans l'expo Goscinny/ Fondation Leblanc .
Alors acte manqué ? Il faudrait l'avis d'un psychanaliste, mais rien de conscient, c'est une certitude.

Je ne voudrais pas avoir l'air de m'apesantir (en tout cas certainement pas lourdement) sur le sujet, mais je savais bien que l'anecdote des Soviets m'évoquait quelque chose, et en l'occurrence ce sont deux passages du Goscinny de M.-A. Guillaume chez Actes Sud : le deuxième paragraphe de la page 106 et son pendant, le premier tiers du deuxième paragraphe de la page 111.
En tout cas, quelque hostilité qu'il ait pu percevoir à l'époque, on peut constater que Goscinny a (encore une fois) fait preuve d'une grande classe en choisissant de déclarer, dans l'interview à L'Express de 1974, son admiration intacte pour Tintin.

Et que disait Godard sur la signature RG exactement ?

Juju a écrit:

Et que disait Godard sur la signature RG exactement ?

Godard a été filmé, dans le doc sur Goscinny, donc s'il le faut on peut rapporter ses propos verbatim, mais faute d'avoir ça sous la main dans l'immédiat, voici la substance de ce qu'il a déclaré : quand Hergé a découvert les initiales R.G. au bas des pages de Lucky Luke, il a demandé à Morris de demander à son scénariste de signer de son propre nom (ce « nom étranger » ?), afin d'éviter toute confusion.
Malgré ce que j'éprouve pour Hergé (ou du moins son travail), ce genre de petite anecdote -- aller se plaindre à la police qu'une école est bruyante, demander à un auteur de changer sa signature -- me laisse toujours un goût bizarre.
Si on tente de se replacer dans le contexte, qui donc à l'époque aurait un seul instant pu penser à assimiler ces initiales à Hergé ? En quoi était-il donc si important pour lui qu'on ne risque pas de le "confondre" avec René Goscinny ?
Une fois encore je ne cherche pas la polémique, le sujet m'intéresse, c'est tout ; et dans le même temps on aurait du mal à aller beaucoup plus loin, faute de matière...

Je crois qu'il y a toujours eu un malaise entre Hergé et les auteurs d'Astérix (Goscinny et Uderzo) et ce pour plusieurs raisons. Goscinny avait même dit lors d'une entrevue à la radio que Tintin c'était d'une autre époque et ou un truc du genre (en gros il faisait passer Hergé et Tintin pour deux gros ringuards). De plus Hergé même si à mon avis il n'a pas été un fan du III reich ni même un collaborateur actif a toujours baigner dans un millieu très catholique et ouvertement pro-fasciste (il gardera même des contacts avec des amis à lui reconnu coupable de collaboration. Quand à sa femme elle était une admiratrice de l'abbé Wallez et de Léon Degrelle). Le fait que Goscinny soit juif a peut-être rajouter au malaise entre les deux hommes.

Dans l'exposition "Goscinny au journal Tintin" on peut lire des lettres que s'échangeaient les deux hommes, elles nous montrent qu'ils sont amis même si bien sûr elles ne révèlent pas leurs arrière-pensées. Hergé écrit tout de même qu'il "lit les aventures d'Astérix chaque semaine avec délix" (lettre de 1966 je crois).

Intéressant hors Hergé même quand il devait écrire des lettres dur restait toujours poli et aimable. Donc en effet c'est lettres ne doivent pas refléter son arrière-pensée.

Tiens, encore une intervention dont je n'ai pas été prévenu...

Genug a écrit:

Je ne voudrais pas avoir l'air de m'apesantir (en tout cas certainement pas lourdement) sur le sujet, mais je savais bien que l'anecdote des Soviets m'évoquait quelque chose, et en l'occurrence ce sont deux passages du Goscinny de M.-A. Guillaume chez Actes Sud : le deuxième paragraphe de la page 106 et son pendant, le premier tiers du deuxième paragraphe de la page 111.
En tout cas, quelque hostilité qu'il ait pu percevoir à l'époque, on peut constater que Goscinny a (encore une fois) fait preuve d'une grande classe en choisissant de déclarer, dans l'interview à L'Express de 1974, son admiration intacte pour Tintin.

Que disaient ces passages sur la relation Hergé- Goscinny ? n'ayant pas ce livre je ne peux vérifier.

Juju a écrit:

Genug a écrit:

Je ne voudrais pas avoir l'air de m'apesantir (en tout cas certainement pas lourdement) sur le sujet, mais je savais bien que l'anecdote des Soviets m'évoquait quelque chose, et en l'occurrence ce sont deux passages du Goscinny de M.-A. Guillaume chez Actes Sud : le deuxième paragraphe de la page 106 et son pendant, le premier tiers du deuxième paragraphe de la page 111.
En tout cas, quelque hostilité qu'il ait pu percevoir à l'époque, on peut constater que Goscinny a (encore une fois) fait preuve d'une grande classe en choisissant de déclarer, dans l'interview à L'Express de 1974, son admiration intacte pour Tintin.

Que disaient ces passages sur la relation Hergé- Goscinny ?  n'ayant pas ce livre je ne peux vérifier.

J'ai le livre mais je ne peux pas y accéder là je suis actuellement, peut-être quelqu'un d'autre l'a près de lui.

Tu sembles toujours intéressé à faire un article sur le sujet, Juju ?

Oh non pas d'article je n'ai aucun document sur le sujet hélas...

Quelqu'un a pu lire le passage de la biographie qui concerne Hergé ?

Je passe, j'ai le livre sous la main, j'en profite pour donner les indications de Genug.
Selon Guillaume et Bocquet, Hergé aurait dit "Goscinny ? C'est un nom étranger, n'est-ce pas ?". Plus loin, ils ajoutent, pour expliquer la froideur de Marcel Dehaye, intime d'Hergé et nouveau rédacteur en chef de Tintin en 1958 : "les amis de nos ennemis sont nos ennemis".